Apple ne peut que craindre Samsung
À plusieurs reprises ces derniers temps, nous avons parlé de la guerre qu'Apple a lancée contre Samsung, que ce soit contre ses téléphones mobiles ou ses tablettes. À chaque fois, cela a provoqué d'intenses polémiques sur nos forums, preuve que ce sujet est non seulement brûlant, mais aussi, nous le présumons, parce que tout le monde n'a pas saisi les enjeux réels de ces batailles entre ces deux géants de l'industrie électronique. Voici donc quelques réflexions, suppositions et faits sur ce vaste sujet.
Commençons par quelques chiffres (source Wikipedia) :
- En 2010, Samsung Electronics a réalisé un chiffre d'affaires de 138,7 milliards de dollars, dont 26,6 % pour la seule division de téléphonie mobile.
- En 2010, Apple a réalisé un chiffre d'affaires de 65,23 milliards de dollars.
Si l'on s'arrêtait là, l'affaire serait pliée en faveur de Samsung Electronics, mais c'est loin d'être le cas, car ces deux sociétés sont fondamentalement différentes. Apple est une société "Fabless", c'est-à-dire qu'elle ne détient aucune usine de production ou même d'assemblage, alors que pour Samsung c'est tout le contraire : elle détient de colossales usines de fabrication, de processeurs, d'écrans LCD, de puces mémoire, et aussi des usines d'assemblage dans lesquelles sont fabriqués les produits commercialisés sous sa marque, et même sous d'autres.
Cette différence fondamentale implique des modes de fonctionnement tout aussi radicalement différents. Elle rend Apple très agile à évoluer. Si la société désire lancer un nouveau produit avec des spécifications précises et innovantes, elle va en définir le cahier des charges et le soumettre à ses sous-traitants afin de découvrir celui qui sera capable de lui fournir ce qu'elle cherche. Elle peut aussi trouver un petit fabricant marginal de produits aux spécifications intéressantes et lui proposer de grandir très vite pour lui fournir ce qu'il lui faut en quantité. Cela a par exemple été le cas pour les plaques de verre qui composent l'iPhone 4. Avec certes des difficultés, on est passé de produits qui n'existaient pratiquement pas à une production de masse.
Dans ces conditions, Samsung a plus d'inertie, tout ou presque étant fabriqué en interne, il faut du temps entre la R&D, les projets et le moment où les produits finis arrivent sur le marché. C'est un inconvénient, mais sur le long terme, et si la direction prise a été la bonne, le pari est gagnant ; nous y reviendrons.
Faisons un retour sur Apple et son succès. La société a, ces dernières années, prouvé que l'on pouvait avoir du succès dans tout ce qu'on tentait, en créant des produits radicalement innovants et destinés (c'est le grand changement) à être utilisés intuitivement par le commun des mortels. On ne plie plus le client au fonctionnement d'un produit, mais le produit a une utilisation aussi intuitive que possible. C'est à notre avis le plus gros génie d'Apple. iOS a été pour ça (encore plus que Mac OS) une véritable révélation. Hélas, si toutes les roues du monde sont rondes, c'est qu'avec le temps les meilleures idées et les choses les plus pratiques finissent par s'imposer et ce qui était l'exception, donnant un avantage, finit par devenir la norme. Mais la brève portant sur Samsung et Apple, nous ferons l'impasse sur l'autre volet de cette guerre moins directe entre Android et iOS.
Nous revenons donc à la partie matérielle, la pomme de discorde entre les deux sociétés. Ces dernières années, Samsung a massivement investi pour rattraper (d'autres diront copier) Apple sur le marché des mobiles et des tablettes. Aujourd'hui, la qualité de leurs produits s'est très nettement améliorée, et leurs spécifications sont même parfois meilleures, avec par exemple l'adoption d'écrans AMOLED. Ce dernier point est un des meilleurs exemples de ce que peut craindre Apple. Samsung est aujourd'hui la seule à savoir produire en masse ces écrans et ne compte pas en vendre à ses concurrents puisqu'ils représentent un avantage commercial pour ses propres produits.
S'ils continuent dans ce sens et voient leur succès confirmé, cela pourrait poser d'autres problèmes, par exemple au niveau de la mémoire Flash. Aujourd'hui, Apple est le plus gros acheteur de ces puces au monde, essentiellement grâce à l'iPhone et l'iPad. Si demain Samsung voit ses ventes exploser, il se fournira tout naturellement en premier dans ses propres usines et forcément à un tarif privilégié, ce qui rendra mathématiquement ses produits plus compétitifs et à l'abri de pénuries que d'autres pourraient craindre.
Le nœud du problème est bien là. Apple a assis sa puissance sur le marché des composants grâce à sa puissance d'achat, mais elle n'a pas de poids réel face à un Samsung qui préfèrerait vendre des produits finis que des composants à un concurrent. Cela est déjà arrivé dans un domaine différent, mais que l'on peut comparer, au niveau des barrettes mémoire et dans une moindre mesure des clés USB. Les fabricants de leurs puces mémoire se sont aperçus lors de la crise économique qu'il leur était bien plus rentable de commercialiser des produits finis sous leur marque. Nombre de petits fabricants de ces produits ont alors périclité et d'autres comme OCZ ont décidé de se retirer de ce marché qui n'était plus rentable. Certes, il y a des différences majeures entre une barrette mémoire et un iPhone, mais ce n'est qu'une question de temps et de savoir-faire, chose que personne ne peut garder indéfiniment secrète, surtout lorsque tout est assemblé chez des sous-traitants.
Dans ce contexte, que l'on soit d'accord ou pas avec sa politique, on comprend qu'Apple utilise à fond son arme la plus puissante, les brevets qu'elle a déposés ces dernières années grâce à son avance prise sur ses concurrents. Mais il ne faut pas se leurrer, ce n'est qu'une politique à très court terme visant à ralentir ou à casser l'envol de la concurrence, car ces brevets sont uniquement des boucliers pilonnés en permanence par la concurrence. Défendant une position, ils finissent toujours d'une manière ou d'une autre à céder ou à être contournés. Seule l'innovation constante, ce que l'on pourrait comparer à une grande mobilité des armées, peut permettre de gagner des batailles dans une guerre qui de toute façon ne finira jamais.