Un point sur la loi Hadopi
S'il est un sujet difficile à aborder sans passion, c'est bien celui de la loi Hadopi. C'est pour cette raison que nous avons sollicité l'aide d'une personne qui le maîtrise très bien, Emmanuel Torregano qui sévit sur ElectronLibre.info et qui nous fait un point sur cette loi, la plus controversée depuis des années et certainement depuis la création d'Internet.
La ministre Christine Albanel joue gros. Le vote de sa loi sur les droits d'auteurs baptisée "Internet et Création" par le Parlement se fera sous haute surveillance, et certainement dans une ambiance électrique. L'Elysée n'accepterait pas que le texte sorti avec le feu vert du conseil des ministres du 18 juin dernier soit mis en pièce par les députés. Un long travail de lobbying a déjà commencé pour les ayants droits pour convaincre une majorité du bien fondé des mesures nouvelles portées par ce projet de loi.
Mais on sait déjà qu'il ne faudra pas trop compter sur la discipline des députés, qu'ils soient de gauche comme de droite. Dans l'opposition, les avis concernant le "flicage" des fichiers illicites divergent du tout au rien. Le député Patrick Bloche qui avait joué un rôle important d'opposant au vote de la Dadvsi en décembre 2005, reprendra naturellement son bâton de pélerin. A droite, l'incertitude règne. Lors de la présentation de la Dadvsi, le vote des amendements "licence globale" s'était joué à une voix près. Qu'en sera-t-il cette fois encore, alors que l'UMP Alain Suguenot a déjà annoncé qu'il voterait contre le projet du gouvernement... Mais, la clef du vote de la majorité lors du passage de la loi à l'Assemblée Nationale en octobre prochain sera certainement à chercher dans l'attitude de Jean-François Copé, le président du groupe UMP. D'ailleurs, Bernard Miyet, le président du directoire de la Sacem, l'a bien compris, et attend de rencontrer le maire de Meaux pour lui expliquer en quoi ce texte est vital pour les artistes de tout poil.
Justement qu'à t'elle de si nouveau cette loi ? En fait, le texte laisse de côté la notion de contrefaçon pour créer une nouvelle infraction : le défaut de sécurisation, avec la création parallèle d'une nouvelle entité nommée Hadopi chargée de faire respecter la loi ! En gros, cela signifie que les détenteurs d'un abonnement à l'Internet sont dans l'obligation de veiller que leur disque dur ne contient aucun fichier protégé par le droit d'auteur acquis de façon illicite. C'est un peu compliqué, mais il s'agit là de la mise en application des travaux de la mission de Denis Olivennes. Celle-ci devait trouver une manière pour stopper les flux sur le P2P, tout en ne tombant pas dans l'ornière du droit, qui prévoit que toute violation de la propriété intellectuelle est passible d'une contravention de 300 000 euros et 3 ans de prison. Ce que le conseil constitutionnel avait opportunément rappelé déjà après le vote de la Dadvsi. Attention, les ayants droits auront toujours la possibilité de poursuivre au pénal un internaute...
Une fois le délit modifié, restait à changer les modalités de la peine. Reprenant, là aussi une idée qui est née avec la Dadvsi, la future loi a perfectionné le principe de la riposte graduée. Celle-ci prévoit en fait une série d'actions, essentiellement des avertissements par mail ou courrier, à l'intention des foyers convaincus d'enfreindre la loi. En cas de récidives, deux exactement, le texte prévoit une suspension d'abonnement au Net, pour une durée maximum de 6 mois. C'est précisément cette mesure qui a été dénoncée par le parlement européen lors du vote d'une recommandation assimilant l'accès à l'internet aux droits de l'Homme.
Et quels effets peut on attendre de la loi après son application. Tout d'abord, la loi ne devrait pas être effective avec janvier 2009, au mieux. On peut estimer que les ayants droits vont vouloir taper très fort dès le départ pour marquer les esprits en faisant en sorte d'envoyer des vagues d'emails aux internautes. On parle aujourd'hui de 10 000 par jour. Et après ? Et bien il y a fort à parier que comme dans la fable de l'épée et du bouclier, les applications clients P2P se perfectionnent encore pour généraliser le cryptage des données, etc. L'industrie de musique mais aussi de la vidéo affirment pour leur part qu'ils ne souhaitent pas éradiquer le piratage, cela leur semble bien impossible, mais qu'il s'agit avant tout de réduire de façon drastique le pourcentage de personnes utilisant le P2P pour obtenir de la musique sans passer par la case paiement. C'est certainement là que le raisonnement des ayants droits est le plus discutable. Car malgré les dires des pro-P2P, le nombre de personne en France échangeant de la musique sur ces réseaux semblent plutôt limité - ce qu'à montré de façon paradoxale le sondage commandé par la SCPP. Il semble donc peu probable que ce marketing coercitif orchestré par les ayants droits et relayé par le gouvernement ne change grand chose à la situation actuelle. Qui est assez simple : Quand iTunes va, tout va mieux dans la musique.